INSCRIPTION

Axe neuro-immuno-endodontique, kézako ?

Une pulpe bien plus intelligente qu’on ne le pensait

Longtemps, les nerfs de la pulpe dentaire ont été considérés comme de simples transmetteurs de douleur. Pourtant, les avancées récentes en neurosciences et immunologie bucco-dentaire — notamment la revue de Luo et al., 2025 publiée dans l’International Endodontic Journal — bousculent cette vision classique.

La pulpe ne serait pas seulement un tissu conjonctif vascularisé et innervé, mais un véritable organe neuro-immunitaire, où nerfs, cellules immunitaires et cellules souches dialoguent en permanence. Cet ensemble forme ce que les auteurs appellent l’axe neuro-immuno-endodontique : un réseau intégré qui coordonne la défense et la réparation du tissu pulpaire.


Les nerfs, véritables sentinelles immunitaires

À la frontière dentine-pulpe, les odontoblastes, les cellules de Schwann et les terminaisons nerveuses sensitives constituent une première ligne de défense. Leurs récepteurs de type Toll-like (TLR) — notamment TLR4 — reconnaissent les produits bactériens tels que les lipopolysaccharides (LPS) ou les acides lipoteichoïques (LTA).

Dès leur activation, ces fibres nerveuses ne se contentent pas d’envoyer un signal douloureux au cerveau. Elles libèrent des neuropeptides (comme la Substance P et le CGRP) capables de :

  • recruter les premières cellules immunitaires (neutrophiles, macrophages),
  • stimuler la libération de cytokines pro-inflammatoires,
  • et renforcer localement la microcirculation.

Une inflammation… neurogène

Lors d’une agression bactérienne, la pulpe entre dans une phase dite d’inflammation neurogène. Les neuropeptides jouent ici un rôle de chef d’orchestre :

  • La Substance P (SP) intensifie la vasodilatation, la perméabilité vasculaire et le recrutement leucocytaire.
  • Le CGRP (Calcitonin Gene-Related Peptide) agit en sens inverse, limitant la réaction inflammatoire excessive.

L’équilibre entre SP et CGRP détermine l’issue de la réponse : inflammation transitoire protectrice et réversible, ou inflammation persistante, conduisant à la nécrose tissulaire.

Pour contrebalancer ces effets, la pulpe sécrète aussi des neuropeptides régulateurs tels que la somatostatine ou la β-endorphine, qui calment la production de cytokines (IL-1, IL-6, TNF-α).

L’inflammation pulpaire n’est donc pas seulement immunitaire, elle est aussi nerveuse. Les nerfs initient, amplifient et freinent la réaction, dans un cycle d’autorégulation sophistiqué.


Les cellules de Schwann : de la conduction à la réparation

Les cellules de Schwann (SCs), traditionnellement connues pour entourer les fibres nerveuses, se révèlent être des actrices majeures de la réparation tissulaire.

Lors d’une agression, elles se dédifférencient vers un état “progéniteur” capable de redevenir cellule odontoblastique-like, contribuant directement à la formation de dentine réparatrice.

Elles libèrent également des vésicules extracellulaires (SC-EVs) contenant des facteurs trophiques (SDF-1, CXCR4, NGF) qui stimulent les cellules souches pulpaire (DPSCs), favorisant la prolifération, la migration et la néo-angiogenèse.

Enfin, elles régulent les macrophages en orientant leur polarisation vers un phénotype M2, anti-inflammatoire et pro-réparateur.

Ces échanges bidirectionnels SC ↔ DPSCs créent un micro-environnement propice à la régénération neuro-vasculaire et dentinaire.


Les nerfs, chefs d’orchestre de la régénération pulpaire

Les fibres nerveuses sensitives libèrent des molécules capables de guider la réparation :

  • CGRP et SP favorisent la différenciation odontoblastique,
  • SHH (Sonic Hedgehog) et FGF soutiennent la survie des cellules souches mésenchymateuses,
  • BMP-2 stimule la minéralisation.

À l’inverse, les nerfs sympathiques jouent un rôle de modérateurs : la noradrénaline (NE), via le récepteur α1B-adrénergique, limite la prolifération des DPSCs pour préserver leur réserve régénérative.

D’autres catécholamines, comme la dopamine et la sérotonine, favorisent au contraire la différenciation odontoblastique et la formation de dentine réparatrice.

La pulpe répare donc ses tissus grâce à un équilibre dynamique entre activité sensorielle et sympathique, comparable à un système “accélérateur-frein”.

En résumé

L’axe neuro-immuno-endodontique, c’est la collaboration intime entre le système nerveux, l’immunité et la biologie pulpaire. Il transforme notre compréhension du tissu pulpaire : d’un simple réceptacle douloureux à un écosystème vivant, intelligent et régénératif.

Comprendre cet axe, c’est repenser nos stratégies de soin : favoriser la préservation pulpaire, préserver la communication neuro-vasculaire, et développer des biomatériaux bio-interactifs capables de dialoguer avec ce réseau.

📚 Source principale

Luo W. et al. Unveiling the Vital Role of Dental Nerves in Dental Pulp Immune Defence and Repair. International Endodontic Journal, 2025; 1-17. DOI: 10.1111/iej.70040